Les juifs d’Oran et la grande synagogue

Brève histoire de la Communauté

Dès le IIème avant J.C., à l’époque des Phéniciens qui habitent Oran, les juifs y font commerce. Depuis ce temps, ils sont présents dans la ville et ils connaissent sans perdre leur identité la longue série d’empires qui se succèdent.
Sautons rapidement les époques pour arriver en 1492 quand les juifs sont expulsés d’Espagne par Isabelle la Catholique. Sur 200 000 personnes qui s’expatrient, un millier part vers le Maghreb principalement à Oran.

En 1509, lors de la première occupation espagnole, les Juifs d’Oran devinrent très vite les auxiliaires des Espagnols, principalement en qualité d’interprètes. Les Cansino devinrent ainsi l’une des plus grandes familles juives d’Oran.

Mais le 31 mars 1669 les Espagnols (encore) sous la pression de l’inquisition, donnent aux Juifs huit jours pour quitter Oran. Le 16 Avril 1669 au matin l’expulsion commença par les Cansino et 14 chaloupes emportent 466 juifs. Ils traversèrent la Méditerranée vers Nice alors sous le contrôle des ducs de Savoie et de là, certains continuèrent vers l’Italie où ils rejoignirent la communauté juive de Libourne.

La synagogue d’Oran fut convertie en église. (Eglise Saint-Louis de la Patience, baptisée ainsi à cause disaient-ils, de la patience qu’ils eurent à supporter les juifs si longtemps !!)
Les Juifs ne retournèrent à Oran qu’en 1708 lorsque le Bey de Mascara, Mustapha ben Yussef, aussi connu sous le nom de Bou Chelaghem conquit la ville.
L’Espagne reprit Oran en 1732. Les juifs se réfugièrent principalement à Mascara.

Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1790, Oran est détruit par un terrible tremblement de terre ; L’Espagne renonçant à reconstruire la cité conclut un traité avec Mohammed el Kébir, bey d’Alger et deux ans plus tard, lui abandonna Oran

En 1792, Mohammed el Kébir invite les juifs des villes voisines à revenir s’y installer. En 1801, il leur cède pour un bon prix (820 sultanis d’Alger) un quartier de la ville et leur fait don ( » donation perpétuelle et éternelle « ) d’un terrain pour le cimetière. Des familles originaires de Mascara, Mostaganem, Tlemcen, Nédroma forment alors la nouvelle communauté.
Le Rabbin Mardochée (Mordekhaï) DARMON, Président de la communauté juive de Mascara, joue un rôle important.

Il était le mandataire officiel du Bey de Mascara et conseiller personnel du Bey d’Alger. Possesseur d’une grosse fortune, il fait construire de ses propres deniers la synagogue qui porte le nom de sa famille, rue de Ratisbonne. Il est l’auteur de  » Maamar Mordekhaï  » (paroles de Mardochée), commentaires sur la Bible et le Talmud (Livourne 1787).

En 1830, à l’annonce de l’arrivée des Français, la population musulmane en désaccord avec son bey qui veut leur livrer Oran, rend les juifs responsables de la capitulation et décide de se livrer au pillage et au massacre de toute la communauté juive avant de fuir la ville.
Les juifs se réunissent dans les synagogues pour une nuit de prières ardentes.

Le lendemain, surpris du silence, ils constatent que les Musulmans ont quitté Oran. Le débarquement des soldats français le 29 juillet les a sauvés in extremis.
Le 6 Ab, date de cet événement est depuis, considéré comme jour de fête. Messaoud Darmon, petit-fils de Mordekhaï, compose un poème (piyyut) pour cette célébration : Mi Kamokha, le pourim d’Oran qui est récité dans toutes les synagogues chaque année le samedi précédant cette date anniversaire.

En 1832, le recensement fait par le commissaire du roi, Pujol, indique une population de 3 800 habitants : 750 européens, 250 musulmans et 2 800 israélites
L’administration française abolit le vieux système de gouvernement de la communauté et instaure le système français du consistoire. Un Beth Din (tribunal rabbinique) est créé en 1836 ; il fonctionna pendant cinq ans sous la présidence du Rabbi Messaoud Darmon avant d’être dissous par l’administration française qui renvoie la communauté juive devant les juridictions de droit commun.

En 1845, le consistoire provincial d’Oran est créé avec à sa tête le grand rabbin français nommé par le consistoire central de France, Lazare Cahen. Mais la communauté oranaise refuse longtemps  » la colonisation du judaïsme local par le judaïsme français  » et écarte de leur consistoire les représentants français. Le premier président Menahem Nahon siège aux côtés de deux notables locaux : Amram Sananès et Abraham el Kanoui.
En 1867, lorsque le consistoire d’Oran est rattaché directement au consistoire central de France, cette nouvelle est très bien accueillie, l’orgueil des Oranais ayant toujours souffert de se voir subordonnés à la capitale algéroise !

En 1870, les Juifs accueillent avec enthousiasme le décret Crémieux du 24 octobre de la même année. Ils peuvent dorénavant accéder à la fonction publique et participer aux élections locales. Cette citoyenneté les transforme en une importante force électorale dont l’impact était renforcé par leur vote homogène sous les instructions de leurs dirigeants.
Simon Kanoui, demeure à la tête du Consistoire d’Oran de1870 jusqu’à sa mort en 1915. D’une autorité considérable, il était surnommé le « Rotschild d’Oran ». Il déclarait publiquement dans de nombreuses occasions que personne ne pouvait devenir maire sans son appui.
La grande synagogue

La communauté juive d’Oran ne manquait pas de lieux de prières : la synagogue consistoriale, le kahal de la place de Naples, la synagogue Lasry, du nom de Jacob Lasry qui l’offrit à la communauté en 1863, la synagogue rabbi Youda Moatté, rue d’Austerlitz, la synagogue Ezagouri, rue de Lützen, la synagogue Haïm Touboul ouverte en 1877 rue des Pyramides (entre autres). Mais ces lieux du culte ne suffisaient plus. Trop petits et trop dispersés, ils ne favorisaient pas le rassemblement de la communauté.

Il lui fallait un bâtiment de prestige correspondant à son importance. Le retard était manifeste si l’on songe que la grande synagogue de Mostaganem fut inaugurée en 1857.
C’est au cours de la séance du conseil municipal du 28 septembre 1867, dirigée par le maire Mr Floréal Mathieu que fut prévu l’emplacement de la synagogue à l’angle du boulevard Sébastopol et du boulevard Magenta.

Dix ans plus tard, en 1877, las d’attendre, le consistoire israélite, se référant à cette vieille séance, décide de construire un temple. Le terrain est donné gratuitement par la ville.
La construction va se faire par souscription volontaire en Afrique du Nord, en France. Simon Kanoui fit même une tournée en Angleterre.
Le Crédit foncier de France prêta des sommes importantes. Mais les provisions étaient insuffisantes. Il y eut de longues interruptions de travaux. Il a fallu une foi extraordinaire pour recueillir les fonds nécessaires mais aussi le courage religieux et politique pour mener à bien l’organisation et la direction de l’oeuvre.
Le 11 Mai 1879, Simon Kanoui pose enfin la première pierre de la grande synagogue.

La communauté tout entière s’employa pour que cette oeuvre puisse être enfin achevée. Il faudra attendre 38 ans pour que se réalise ce projet grandiose. Les devis ayant été largement dépassés, la municipalité participe pour clore le budget manquant.
En 1915, Simon Kanoui mourut sans voir l’aboutissement de ses efforts et l’achèvement du bâtiment qui devait être dans son esprit la plus grande synagogue de l’Afrique du Nord.

En 1918, le grand rabbin Weil réceptionna la grande synagogue,  » la plus belle d’Afrique du Nord « . Oeuvre de M. Dagne, élève de Viollet-le-Duc, elle aurait été construite (dit-on) avec des pierres de taille importées de Jérusalem.
Le 12 Mai 1918, l’inauguration a lieu en présence d’une foule énorme de plus de 5000 personnes venues de tous les coins d’Algérie mais aussi de France et de l’étranger. Il n’y eut pas assez de place, mais les prières pouvaient être entendues de la rue.
Toute la nuit l’allégresse et les chants se sont fait entendre, et dans les maisons en paix, les pères levaient les verres en regardant leurs enfants et disaient :  » lekhaîm, lekhaîm  » (à la vie, à la vie).
Mais à cette date-là, la guerre n’est pas encore terminée, aussi le grand rabbin Weil termine son allocution  » en suppliant Dieu de protéger la France, de lui conserver sa force et son prestige, et de lui donner enfin la victoire qu’elle a si bien méritée « .

Vu de l’extérieur, le bâtiment est très important. La façade où une splendide rosace dont les vitraux multicolores illuminent l’intérieur est parée de chaque côté de 2 tourelles de 20 mètres de hauteur où sont accolées deux ailes aux coupoles harmonieuses qui terminent l’ensemble. Ces vingt mètres sont symboliques du désir d’élévation religieuse et témoignent de la liberté de construire en hauteur, trop longtemps réprimée en terre d’Islam.

A l’intérieur trois grandes portes surmontées de vitraux s’ouvrent sur la nef.
Celle ci est séparée des bas-côtés par des arcades décorées d’arabesques et que supportent des colonnes de marbre rouge.
Le coeur est réservé au tabernacle (hekkal) portant gravé au sommet les commandements de Dieu et l’étoile de David que l’on retrouve d’ailleurs dans tous les vitraux.

A l’intérieur derrière une draperie de velours rouge brodée d’or datant de 1845, plusieurs sépharims sont enfermés. (sépher au singulier) Chacun d’eux contient écrit à la main, en hébreu, sur parchemin, le pentateuque ou les 5 livres de Moïse.
En avant du tabernacle on remarque un magnifique candélabre à huit branches, sur le modèle de celui de Jérusalem. (Celui-ci n’a que sept branches, mais il est interdit de le reproduire, d’où la branche supplémentaire).

Au milieu de la grande Nef, la Téba, en noyer ciselé, ainsi que la chaire en pur style oriental.
900 sièges, en chêne massif, occupent le rez de chaussée.

Au 1er étage, sur les côtés et devant les grandes orgues qui comprennent 18 jeux et 900 tubes, sont les places réservées aux femmes, les hommes seuls ayant droit d’occuper le bas pendant les offices religieux.
Le plafond de cet oratoire comme celui des deux bas-côtés du temple est orné d’une Ner-Tamid, (lumière perpétuelle) aux nombreuses veilleuses ajourées, parce que  » la flamme symbolise l’âme « .
Les ampoules électriques sont dissimulées dans de jolies lanternes marquées de l’Etoile de David.
Au premier étage, deux salles servent, l’une aux assises du tribunal rabbinique chargé de trancher les différends religieux, que préside le grand rabbin, l’autre aux délibérations du consistoire.
Dans la première pièce se trouve une grande bibliothèque renfermant toute une littérature religieuse sous forme de manuscrits et de livres vieux de 2 ou 3 siècles.
A l’intérieur se trouvent des plaques où sont gravés les noms des 400 juifs morts au cours de la guerre 1914 -1918.
Le bâtiment est majestueux, très haut, les pères du projet ayant voulu briser par ce symbole une des 12 lois de la charte dite d’Omar sur la dhimmitude qui stipulait que les synagogues ne devaient jamais être plus hautes que les maisons arabes.

Trente quatre ans plus tard, des travaux furent entrepris pour une remise en état du Grand Temple qui n’avait fait l’objet d’aucune réparation depuis sa construction, travaux qui devenaient urgents pour la sécurité de l’édifice et de son auditoire.

Les travaux débutèrent par la réfection de la toiture, où les ardoises furent remplacées par des tuiles, couverture plus appropriée. Ce fut ensuite la remise en état de la voûte, haute de plus de 40 mètres. Ensuite eut lieu la pose de la grille d’entrée en fer forgé, conçue et réalisée par les établissements Bendayan. Sur le plan pratique, elle protège l’entrée du Temple, abri souvent utilisé et pas toujours respecté. Un jardinet orne l’espace libre entre la grille et le porche. Vitraux neufs, peintures intérieures et extérieures, complétèrent les travaux et redonnèrent au Grand Temple d’Oran la splendeur de ses premières années.

Le 14 septembre 1952, le grand Temple d’Oran rénové est inauguré solennellement.
 » Ce Temple, restauré dans sa primauté, laisse une impression de grandeur et d’austérité sans pareille  » déclare M. Smadja, avant d’en annoncer la consécration à Simon Kanoui, de sainte mémoire.

A l’Indépendance, la grande synagogue fut transformée en mosquée.
Bien plus tard Henri Chemouilli lui écrivit une ballade :
 » Frères musulmans qui notre Dieu priez
Cette synagogue que tant avons chérie
Belle aujourd’hui entre vos mains passée
Appelez-la Mosquée Simon Kanoui  » (extraits)

Nota : Ce texte a été écrit spécialement pour l’Echo de l’Oranie (Nice)
sur une documentation fournie gracieusement par Mireille ATTIAS

Laisser un commentaire