Humour et poésie

Ô triste éloignement de tout ce que j’aimais
Maison ! fleurs des jardins! Adieu et pour jamais
Pays de mes amours inondé de soleil !
Adieu, terre chérie où le jour est vermeil,
Où les bougainvillées garnissaient les tonnelles,
Où la nuit étoilée est si douce et si belle…
 

Isaac Asimov, tiré du livre du même titre, Denoël, 1985 (Droits réservés)
 

J’ai trouvé ce court récit tellement drôle que je n’ai pas pu m’empêcher de vous en faire profiter.
Si un quelconque ayant-droit y trouve un inconvénient, je la retirerai, mais ce serait dommage.
Et j’espère que cela donnera envie de lire les ouvrages d’Isaac Asimov que je considère comme un des meilleurs auteurs de S.F.
 

Mon frère se mit à dicter dans son meilleur style oratoire, celui qui tient les tribus suspendues à ses lèvres.

– Au commencement, dit-il, il y a exactement quinze milliards deux cents millions d’années, un grand boum se produisit et l’Univers…

Mais, je m’étais arrêté d’écrire.
– Il y a quinze milliards d’années ? m’écriai-je, incrédule.
– Eh bien, oui. Tu sais que je suis inspiré.
– Je ne mets pas le fait que tu sois inspiré en doute.  »
(II vaut mieux pas. Il a trois ans de moins que moi, mais je n’essaierais jamais de mettre son inspiration en doute. Personne d’autre non plus, car ça chaufferait drôlement.)
– Mais as-tu l’intention de raconter l’histoire de la Création sur une période de quinze milliards d’années ?
– Il le faut bien, répondit mon frère. C’est le temps que cela a pris. Tout est là-dedans « , il se tapa le front,  » et cela vient de la plus haute autorité. « 
Alors là, je posai mon stylet.

– Sais-tu combien coûte le papyrus ? lui demandai-je.
– Pardon ? (Il est peut-être inspiré, mais j’ai souvent remarqué que l’inspiration ne couvre pas des sujets aussi sordides que le prix du papyrus.)
– Suppose que tu décrives les événements d’un million d’années sur chaque rouleau de papyrus. Il te faudrait quinze mille rouleaux. Tu devras parler longtemps, et tu sais que tu te mets à bégayer au bout d’un moment. Il faudrait que j’écrive longtemps pour les remplir et mes doigts ne tiendraient pas le coup. Et même si nous pouvions nous offrir tout ce papyrus et si tu avais assez de voix et moi assez de force, qui accepterait d’en copier une telle quantité ? Nous devons assurer une centaine de copies avant d’être publiés, et sans cela, pas de droits d’auteur, hein ? « 

Mon frère réfléchit un moment.
 » Tu crois vraiment qu’il faut que je coupe ?
– Coupe, si tu veux toucher le public.
– Que penses-tu de cent ans ?
– Que penses-tu de six jours ?
– On ne peut pas résumer la création en six jours, s’écria-t-il, horrifié.
– C’est tout ce que j’ai comme papyrus. Alors, que décides-tu ?
– Oh ! bon « , dit-il.

Et il se remit à dicter.
– Au commencement… Il faut vraiment que ce soit en six jours, Aaron ?
– En six jours, Moïse « , répondis-je fermement.

 

 

 

 

NDR : Il avait raison. Il faut bien reconnaître que la bible est le livre le plus vendu au monde.
Mais je ne sais pas qui touche les droits d’auteur.
 
Remplir le site avec des histoires drôles serait facile, mais ce n’est pas le but recherché.
Cependant l’histoire ci-dessous davantage une scène de rue et de plus très représentative
des personnages qui parcouraient notre bonne ville d’Oran.
Je remercie Marie-Odile Lopez de la familia oranaise qui me l’a communiquée. (avec l’accent s’il vous plait !)

 

 A Oran ( où quarante sous ça vaut deux fron) passant juste devant l’Ecole Primaire Jules Renard ( tiens que c’est mon Ecole ! D’ot y diront moi c’est Gambetta, purée, moi c’est.. Et bein moi j’ai choisi : c’est Jules Renard , ouala ), deux dames.
La première qu’elle est élégante toujours habillée aux Nouvelles Galeries, même qu’elle se regarde en marchant dans la vitrine du marchand de régalisse pour s’admirer le jupon. L’ot’ c’est madame Tia pépa que celle-là elle a une langue qui lui descend jusqu’aux genoux, chargée comme un bourricot arabe avec son cabasset plein de légumes. Celle-là, à peine elle ouv’ la bouche qu’y fait des courants d’air sur la Corniche .
« – Bonjour Mme Levy dit-elle admirative, comment ça va vos enfants ?
L’ot’ un peu agacée qu’elle se regardait dans la glace elle se retourne :

 Ah madame Tia pepa, y vont plus que bien : l’aîné y se prépare à faire avocat comme son grand père, le deuxième banquier comme mon père et le troisième médecin.

Mais voyant que la tia mocosa elle était la bouche ouverte d’admiration elle continue :

– Vous comprenez maintenant, vu l’importance, pourquoi que c’est moi qui vient les chercher à l’école ??… »

 

 

La babouche
et le Pied-Noir

Il était un petit Pied-Noir
Qui logeait dans une babouche
Tous deux faisaient plaisir à voir
Marchant du matin jusqu’au soir
La babouche autour du Pied-Noir
Et le Pied-Noir dans la babouche.
 

La babouche un jour dit :  » Pourquoi
Traîner ce Pied-Noir avec moi ?
Marcher ensemble, quel calvaire !
Il est lourd… Moi je suis légère…
S’il voulait libérer les lieux
Seule, je marcherais bien mieux « .
 

Dès lors, la babouche travaille
Pour blesser le pied, le tenaille,
Le comprime, fait tant d’efforts
Que le Pied-Noir ayant un cor
Et prenant brusquement la mouche
Se retire de la babouche.
 

Le Pied-Noir, lui, s’est retiré,
Bien sûr dans ses petits souliers,
Mais il a poursuivi sa route.
Et la plus étonnée sans doute
Fut la babouche qui n’a pas compris, mais vu
Que sans Pied-Noir, elle ne marche plus !
 
La Sabate
et le Pied-Noir
( à la manière de Christian Vébel)
Y a plus d’cent cinquant’ ans et du côté d’Alger
Un tô p’tit pied noir y l’était v’nu s’loger
Dans une grande sabate, foutue, tô déchirée.
Tô les deux, bien contents, ensemble y sont couchés,
Y sont joué aussi, puis y sont travaillé :
L’pied noir y la cousu la sabate s’quintée
Y l’a changé tô l’cuir parc’qu’il était usé ;
Mais un jor qu’la sabate était bien réparée,
Comme tot neuve y même presque cirée,
Elle s’dit « porquoi qu’je garde ce pied noir damné ?
Il est gros, il est lourd, j’crois mim qui sent mauvais »
Y alors la sabate y commence à l’serrer
A l’pincer et tellement à l’emmerder
Que l’pied noir est parti, avec un gros regret
Dans sa mère patrie, la France bien aimée!
Et là bas, vic courage, y r’commence à travailler
Por sailler d’oublier sa sabate adorée!
Pendant qu’elle, tôt seule, r’commence à s’déchirer
En pensant très souvent à son pied noir français !
La morale d’cit histoire, comme la Fontaine dirait
C’est qu’il fallait encor’, pour garder l’bon soulier
Conserver avec soi, mim’ s’il est noir, le pied.
René de Cara

Algérianiste n° 181 nov dec 1985

 

 

 

 

 

Dans les auberges parisiennes
On sert maintenant très souvent
Un plat qu’autant qu’il m’en souvienne
On n’y voyait jamais avant.
 
Ce plat qu’on fabrique en série
Et qui semble bien plaire à tous
Nous est arrivé d’Algérie
Et ça s’appelle le couscous.
 
Je ne sais pas ce qui se passe
Mais j’ai l’impression que ce plat
La sauce n’est pourtant pas grasse
Me reste un peu sur l’estomac.
 
Car sans être un vrai plat de riche
Étant même accessible à tous
Avec son mouton, ses pois chiches,
I1 nous revient cher, ce couscous.
 
Pour en obtenir la recette
Songez qu’on envoya Bugeaud
I1 y laissa quelques casquettes
Quelques zouaves, quelques chevaux.
 

I1 trouva des lions, des moustiques
Des figuiers, pas mal de cailloux,
Et des gens qui bouffaient des briques
Ou – Mais pas souvent! – du couscous.
 

Dans ces contacts entre deux races
L’un donne à l’autre ce qu’il a
C’est un échange qui se passe
Nous, nous apprim’s à ces gens-là
 

A lire, à cultiver la terre
La méd’cine et la loi pour tous
Eux? La seul’chos’qu’ils savaient faire
Ils nous ont appris… le couscous.
 

Dès lors, pendant cent trente années
Des Français vinrent en bateau ;
Avec eux des villes sont nées,
Des vignobles, des hôpitaux.
 

Puis quand le pays fut prospère
On les a virés d’une »secouss  »
Disant :  » Nous gardons vos affaires
Et vous, vous emportez l’couscous « .
 

Cette histoire, qui paraît folle,
Présente au moins un intérêt:
C’est d’apprendre à la Métropole
Tout un monde qu’elle ignorait.
 

Car nombreux sont ceux qui s’écrient
Au restaurant, d’une voix douce :
 » Ça existait donc l’Algérie
Puisqu’il existe le couscous! »
 

Les rapatriés d’Algérie
Dans tout ça… font un peu bâtards…
Cert’ ils ont quitté leur patrie
Sous le choc d’un pied quelque part,
 

Mais, las de les entendre geindre,
Ceux qui n aim’nt pas se fair’ de mous-,
Leur dis’: Quoi? Vous n êt’ pas à plaindre
Puisqu’à Paris y’a du couscous.
 

Envoi
Princes! Si par quelque féerie,
Bugeaud revenait, s’il disait :
 » J’ vous avais donné l’Algérie.
Qu’en fites-vous ? ». On répondrait :
 

 » Nous avons lâché blé, pétrole
Oran, Bône et Beni Messous…
Mais la France qui n’est pas folle
N’abandonn’ra jamais l’couscous ! « 

 

 

 

 

 
 

 LES VAPEURS D’EVOHE
Au lever du rideau, Evohé s’avance d’un pas mal assuré, suivie de sa servante.

EVOHE (avec accablement)
Dans cet enfer brûlant, où mon âme éperdue
Appelle en sa douleur une source perdue,
Quoi! Pas même une main pour me porter secours ?

CANNELLE
Eh Madame, à qui vont tant de sombres discours ?

EVOHE
A qui ? Comment mon coeur pourrait-il s’acquitter ?
– A qui ? Mais à celui que je viens de quitter !
Ô rage, ô désespoir…

CANNELLE (à part)
Je crois bien, quelque part,
Avoir ouï cela…

EVOHE
Ô funeste départ
Où m’astreint la raison, quand si cruellement,
Elle vient m’arracher à cet enchantement

CANNELLE
Madame, calmez-vous…

EVOHE
Comprends bien ma faiblesse,
Il est de haut lignage et de grande noblesse!
Sa valeur n’attend pas…

CANNELLE
Encore ?

EVOHE
…Qu’il ait de l’âge !

CANNELLE
Et quel est son royaume ?

EVOHE (attendrie)
Il n’a que des Villages…
Mais dans le monde entier, le monde le réclame
Et volant vers celui qui d’avance l’acclame,
Le Vent de son Moulin passe dans les étoiles !

CANNELLE
Il vaudrait mieux, je crois, dire vent dans les voiles
S’il s’agit d’un meunier !

EVOHE
… Et son âme Fleurie
Est d’un bouquet plus doux que la douce prairie !

CANNELLE (à part)
Les mots sont déformés ou dure mon oreille?
Je n’y entends plus rien !

EVOHE
Ô douceur sans pareille,
Mon palais s’ensoleille à l’éclat de sa robe…

CANNELLE (même jeu)
Cette robe, c’est sûr, va nous valoir l’opprobre
Si l’on vient à savoir qu’il s’agit d’un curé !

EVOHE (véhémente)
Il est fin, spirituel, élégant, coloré,
Flatteur et généreux, délicat et soyeux,
Robuste, charpenté, et son corps…

CANNELLE
Ah mon Dieu !

EVOHE
Cannelle, n’oublie pas que je te l’ai confié,
Un tel Amour est pur puisqu’il est sanctifié !
Et pour peu que par lui, ma coupe soit remplie,
Heureuse je boirai, et jusques à la lie!

CANNELLE
Chut, Madame, l’on vient! Apaisez vos clameurs…

EVOHE ( en une complète exaltation)
Quoi? M’imposer silence alors que je me meurs ?
Alors qu’on nous sépare? Ah j’en perds la raison !
Qui parle de l’été quand j’entends véraison ?
Je vois couler un fleuve en ce désert aride
Où mon âme, sans lui, se dessèche et se ride !
Pour son retour, je veux implorer à genoux
Où est-il ? Où es-tu ?? Où suis-je ???

CANNELLE (dépassée)
Où allons-nous ????

EVOHE (s’apprêtant à quitter la scène)
Eh bien, s’il faut mourir, je m’en vais de ce pas
Le faire présider à mon dernier repas!

CANNELLE (éplorée)
Mais avant de partir, dites-moi, s’il vous plait,
Est-ce un Prince, un Berger?

EVOHE (se retournant, et avec une calme dignité)
Non. 
C’est mon Beaujolais !

RIDEAU

 

 

 

 

 

 

 AU PAYS QUI N’EXISTE PLUS
 

Viens, je veux t’emmener marcher sur les rivages
Du pays qui n’existe plus,
Sur les ailes du temps comme des oies sauvages,
Un pays d’où nous sommes exclus.
Tu sauras le parfum des orangers en fleur
Et des mandariniers,
Et les éclats de voix de l’ouvrier râleur
Fabricant des paniers.
 
Viens, je veux t’emmener flâner dans les villages
Du pays qui n’existe plus.
Où couraient des enfants braillards de tous les âges
Que séparer, il a fallu.
Et je te parlerai de la douceur de vivre,
En mutuel respect,
Loin des oppositions décrites dans les livres,
Quand nous vivions en paix.
 
Viens, je veux t’emmener dans tous les paysages,
Les champs, les djebels, les talus,
Où seules maintenant passent les oies sauvages,
Au pays qui n’existe plus.

Vincent HERELLE

 

 

 
 LES ODEURS DE LA-BAS

Sens-tu le frais parfum de la blanche anisette
Dans le verre embué ? Et celui des brochettes
Aux portes des cafés ? De là bas c’est l’odeur.
Me voici transportée sous l’oranger en fleurs
Des souvenirs, soudain, s’ouvre tout grand le livre
Quand toutes ces senteurs se mettent à revivre,
C’est un ciel éclatant d’azur et de vermeil
Une mer d’émail bleu ondulant au soleil
C’est la vigne naissant au sein des terres rouges
C’est midi si brûlant que l’ombre seule bouge
C’est l’ardente clarté courbant les floraisons
C’est la chaleur, la plage; c’est notre maison.
 

Respire à pleins poumons cette odeur généreuse
Et vois le bourricot sur la route poudreuse
Qui trotte résigné, chargé de lourds paniers
Qui lui battent les flancs. Retrouve les palmiers
Aux écailles brunies dont la houppe balance
Dans les cieux en fusion la verte nonchalance
Qui, respire bien fort les parfums de là bas
Et tu verras alors, emplissant les cabas
En tunique de sang, la tomate pulpeuse
L’orange ensoleillée et la grappe juteuse
Tu sentiras l’odeur des couscous épicés,
Des paëllas fumantes, des piments grillés,
Et l’arôme fruité de notre huile d’olive
La fragrance salée du rouget, de la vive
De la dorade rose au bout de l’hameçon
Dont on se mijotait des soupes de poissons
Vois les figues sucrées emplissant la corbeille
Près desquelles tournoient les friandes abeilles
Délaissant le jasmin langoureux, obsédant.
Nous mordions dans la vie, ensemble, à pleines dents
 

C’était la joie, le rire, c’était le bonheur !
Le passé contenu dans ces fortes senteurs
C’était les temps heureux, c’était notre richesse…
Car l’odeur de là bas, c’était notre jeunesse !
 

Odette TREMELAT LEGAY

 

 

 

 

 
 
 

LES PLUS BEAUX VERS
 
Les plus beaux vers, c’est vrai, sont ceux qu’on n’écrit pas.
Ils sont éclos tout seuls au plus profond de l’âme
et, longuement polis, sonnent comme une lame
trempés en acier clair pour les plus beaux combats.
Ils ont pris au cerveau leur meilleure substance ;
les pulsions du coeur en rythment la cadence;
on les sent au tympan tambouriner tout bas.Mais qu’ils disent nos cris, nos plaisirs ou nos peines,
qu’ils chantent de l’amour, le caprice ou les chaînes,
leur rimes, deux à deux, semblent marquer le pas ; 

 

Les plus beaux vers, c’est vrai, sont ceux qu’on n’écrit pas.
 
Edmond Arnaud (de Mostaganem)
Transmis par Guy Montaner, de la « Marine »

 

 

 

 

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