LANGAGE (avec ou sans accent)

Aller à Tataouine !

Quand on voulait dire à quelqu’un “Va au fin fonds du diable”, on disait “Va à Tataouine” et bien entendu on ne connaissait pas le rapport qu’il y avait entre les deux expressions. Tataouine, anciennement appelée Foum Tataouine, est une ville du sud-est de la Tunisie située à 531 kilomètres de Tunis. Fondée sous le protectorat français pour assurer la pacification du sud du pays, elle reste célèbre pour l’ancien bagne militaire de l’armée française qu’elle abritait. Il fut ouvert jusqu’en 1938, année de l’abolition des bagnes en France et accueillait les condamnés de droit commun et les soldats punis pour indiscipline, les fortes têtes. Les conditions de détention avaient la réputation d’être très dures. Le bagne était situé au pied de la colline.

Aller à Tataouine !

L’expression populaire ” aller à Tataouine ” ou ” aller à Tataouine-les-Bains ” signifie aller se perdre au bout du monde. Cette expression provient de la présence du bagne et l’ajout du suffixe ” les-Bains ” est ironique au vu du caractère désertique du lieu. Cet ancien bagne est aujourd’hui une caserne de l’armée tunisienne.

Tataouine

Le lycée Ali Chekkal, Où c’est ?

lycée Ali Chekkal

Une histoire de Gilbert Espinal

– Aouela ! Où c’est qu’elle a été admise votre fi’ maintenant que la carte scolaire elle est dressée et que chacun y sait où c’est qu’y doit aller.

– Pos au lycée Ali Chekkal ! S’encoléra la grand-mère.

– Où c’est ça ?

– Là-bas où le Bon Dieu il a perdu ses souliers et où il est pas retourné les chercher, de loin que c’était !

– Où c’est ?

– Pos y faut que tu prennes la rue de Gênes que tu te tapes les escaliers, le boulvard Seguin, y dale ! Et que tu tournes pour prendre la rue d’Arzew et que tu marches et que tu marches j’qu’au fond et encore tu continues j’quà que tu arrives au Ravin Blanc, juste avant Grandbeta …

– Et vot’fi’ qu’elle habite à la Calère, c’est-à-dire le cœur même de la ville, on a été lui chercher un lycée si loin dans les faubourgs ?

– C’est pour le brassage des populations !

– Y’a un car pour aller j’qu’à là bas ?

– Le car à pattes ! Ricana la grand-mère, si y faut que je lui paye le car tous les jours, le pain de la bouche y faut que je me quitte ! Elle passera par la route du Port. Y faut seulement que je l’y achète une bonne paire d’espargates.

Gilbert Espinal, en souvenir de son épouse, décédée, qui fut deux ans “pionne” au Lycée Ali Chekkal

 

Une rue de la Calère

Une rue de la Calère (dessin spécialement offert pour le site par Joseph Alfonsi)

L’ACCENT D’ORAN

Le Point de Vue des 3 Baudets (1)

Parlant à une personne que je connaissais depuis peu de temps, je lui dis à brûle pourpoint :

– “Vous êtes d’Oran, n’est-ce pas ?”
– Oui, qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
– Hé ! Parce que vous avez l’accent, parbleu !

Qu’avais-je dit là ! J’ai vu le visage de cette personne se transformer instantanément. Elle était vexée.
Pourquoi ?
En mon âme et conscience, j’aurais plutôt cru lui faire plaisir en lui signalant qu’elle avait l’accent de son si beau pays.
C’est une chose qui m’a surpris et frappé depuis que je viens à Oran. Le nombre incroyable d’Oranais qui semblent avoir honte de leur accent. On se demande pourquoi. Non, vraiment je n’ai jamais compris que tant de gens d’ici soient vexés lorsqu’on leur dit : ” Hé! Hé! Vous êtes d’Oran”

Je lutte encore maintenant contre ma sœur qui possède un magnifique accent du Midi, un accent à faire tourner tous les aïolis du littoral et qui se croit diminuée, lorsqu’elle se trouve avec des gens du Nord. C’est si beau d’avoir l’air d’être de chez soi. A chacun son accent.

Soyez fiers du vôtre, chers amis d’Oran, car, s’il est souhaitable qu’il y ait un jour beaucoup de citoyens du monde, il serait bien regrettable qu’il n’y ait plus d’accents de “quelque part”.
Le Baudet de service.

(1) Non contents d’être de brillants chansonniers qui officiaient au théâtre et à la radio, les trois baudets (Pierre-Jean Vaillard, Georges Bernadet et Christian Vébel) écrivaient des articles pleins d’humour dans les journaux . En voici un tiré de l”Echo d’Oran”

DE L’ORTHOGRAPHE DE PIED-NOIRS

“Le mot pieds-noirs est-il oui ou non invariable ? Peut-on dire une “femme pied-noire ?”
J’ai fait comme tout le monde en pareil cas : j’ai consulté mon dictionnaire et ma grammaire.
J’ai d’abord eu recours au dictionnaire fait, ou du moins dirigé, par un Pied-Noir bien connu, Paul Robert, né à Orléansville en 1910 et mort en 1980.
Après la date de l’apparition de ce “nom” dans son acception moderne (1955), “Le Robert” le définit ainsi : “Français vivant en Algérie (et considérant l’Algérie française comme sa patrie) puis Français d’Algérie”.
Il ajoute : “Les pieds-noirs rapatriés”…, avec des minuscules, remarquons-le ;
Puis : “au féminin, une pied-noir (rare), une pied-noire” et il donne un exemple d’un écrivain nommé Volkoff.
Pour Paul Robert et ses collaborateurs – il avait certainement supervisé l’article –
1°) Le substantif pied-noir est variable : il le donne au singulier et au pluriel. Il le donne aussi au féminin : une pied-noire est, selon lui, l’usage le plus répandu.
2°) De même donc l’adjectif est variable. Que me dit ma grammaire, en l’occurrence “Le bon usage” du Belge Maurice Grévisse ? On y trouve d’abord ceci (par. 293, 2°)
“Quand le nom composé est formé d’un nom et d’un adjectif, les deux éléments varient au pluriel” et des exemples comme ceux-ci : les états-majors et – que l’on me pardonne – les pieds plats.
Cela confirme la position du “Robert”, du moins pour le pluriel.
Dans la même grammaire de Grévisse, on trouve aussi une indication utile, au moins pour la graphie de notre nom et adjectif : elle nous apprend (par. 170) ou nous confirme que “l’on met une majuscule aux noms propres de peuples” et donne comme exemples : “Les Américains, un Belge”, etc…
On doit donc écrire : “Les Pieds-Noirs, un Pied-Noir, une Pied-Noire”.
“Le Robert”, en employant des minuscules, a donc manqué sur ce point à l’usage, au bon usage. Il écrit pourtant ailleurs : “Une Peau-Rouge”.
La grammaire plus haut citée complète ainsi sur ce point : “Ces noms (de peuples) pris adjectivement ont la minuscule, ex.: l’État belge…, le drapeau français”. “Une tribu peau-rouge” dans “Le Robert”.
Il faut donc écrire, d’après Grévisse : “Une femme pied-noire”.
Ainsi, je réponds au deuxième élément de la question.
Je trouve par hasard, dans un livre intitulé “Les Français d’Algérie, vie, moeurs, mentalités” de Pierre Mennoni (L’Harmattan) : “La gastronomie piénoire” (p. 38), mais c’est sous la plume de Roland Bacri qui ironise souvent, à la manière de son “Canard”.
Je vois après coup qu’il existe un autre usage ; je trouve, précisément dans l'”L’Algérianiste” (n° 80, page 133) un communiqué important pour la question qui nous intéresse : c’est la Déclaration commune des Associations Culturelles “Pieds-Noirs”.
Ainsi “Pieds-Noirs” – entre guillemets – est employé comme adjectif. Dans le texte on trouve : la culture “Pieds-Noirs”, la très vivante culture “Pieds-noirs”, la communauté “Pieds-Noirs”.
J’aurais scrupule à critiquer une construction employée délibérément par des dirigeants d’associations “Pieds-Noirs” c’est-à-dire “de Pieds-Noirs”.
J’imagine que l’Académie algérianiste a trouvé que la culture “Pieds-Noirs” avec des majuscules, cela faisait plus sérieux, plus officiel que la culture pied-noire. Et c’est vrai. Oui, mais imagine-t-on l’expression une femme “Pieds-Noirs” ?
Il faut peut-être jeter un coup d’oeil, “jeter un oeil”, disait-on à Alger, sur l’histoire du mot pied-noir et son évolution. Certains que je connais plus ou moins ont décrit le parler pied-noir.
On a beaucoup parlé de ce surnom donné aux Français d’Algérie, et même des deux pays voisins, à partir de 1955, dit “Le Robert”. Il me semble, et je m’appuie sur cette autorité, que c’était autrefois, au temps des steamers, le sobriquet donné à Marseille et dans les ports de notre Méditerranée aux Algériens travaillant dans les soutes à charbon.
Au temps des “événements”, des gens bien intentionnés (comme disait Brassens), dans ces mêmes régions, jouant sur l’ambiguïté du nom Algériens, ont attribué ce surnom de Pieds-Noirs aux autres Algériens, les Français et les Européens, ceux de l’Algérianisme. Et ceux-ci l’ont d’abord mal pris car cela voulait bien être un terme offensant. Mais, avec le temps, il me semble que les Pieds-Noirs pensants ont relevé le gant et qu’ils ont eu cette réaction :
Nous ne sommes pas Parisiens, Provençaux ni Languedociens ; “Pieds-Noirs” vous nous appelez, “Pieds-Noirs” donc nous serons et peut-être vous étonnerons.
Nous assistons bien, depuis plus de trente ans en effet, à des efforts constants d’ennoblissement de ce nom de peuple, les “Pieds-Noirs”. Pour le mettre en conformité avec la réalité des gens qui le portent fièrement. Quelqu’un a fait, il y a quarante ans, une thèse de doctorat intitulée “Le français d’Afrique du Nord” (“Mémoire de notre temps”, J.-P. Hollender, Montpellier) ; il dirait aujourd’hui : Le parler Pied-Noir.
Je ne peux pas énumérer toutes les revues et les collections de livres qui, avec “L’Algérianiste” et “Mémoire plurielle”, entretiennent la culture pied-noire. Par exemple, la revue “Pieds-Noirs d’hier et d’aujourd’hui”.
D’où, sans doute, l’emploi des constructions et de la graphie que je viens de signaler plus haut : la culture “Pieds-Noirs”.
Mais la grammaire est la grammaire, et on devrait dire à mon sens :
Un Pied-Noir, des Pieds-Noirs, une Pied-Noire, des Pieds-Noires, et une femme pied-noire, la culture pied-noire : on dit bien “la culture française”, “la culture hispano-américaine”.
Ces deux lignes répondent, je pense, à la double question posée.
André Lanly
Revue l’Algérianiste n° 82, juin 1998

PROPOS SUR L’ORIGINE DE L’EXPRESSION “PIED-NOIRS”

Un échange de couriels qui éclaircit le débat

From: h.belasco To: algerianie Subject: Pied-noir 26 Jul 2012
Salut GG Tu m’as dit une fois que tu avais connaissance d’une lettre adressée à sa mère par un pilote blessé et soigné aux USA, dans laquelle il utilise le terme PN dans les années 40 (“Je ne suis pas un petit Frenchie, je suis un Pied-Noir”) Aurais-tu quelque chose de plus précis ?

From Algerianie
Yves Pléven m’avait parlé de son courrier de 1943 retrouvé dans les papiers de sa mère après son décès.
Il faisait une école de pilotage à San Francisco, après novembre 42, et être passé par les bases aériennes de Marrakech.
Le terme Pieds-Noirs est passé du langage maritime au jargon militaire pour désigner d’abord les soutiers de Casa ,Oran , Alger…..avant de signifier le biffin européen d’A.F.N.
From E. Attias
Je ne suis pas trop d’accord sur cet amalgame de “soutiers de Casa, Oran, Alger” ce qui n’est pas “clair” du tout. D’une part tous les Français n’étaient pas soutiers alors pourquoi généraliser le terme à tous ? d’autre part c”est un terme typique à l’Algérie et je ne vois pas ce que Casa vient faire ici.
Ensuite je pense (sourire) que les soutiers se sont lavé les pieds avant de débarquer des navires, n’est-ce pas.
Et pourquoi le terme “langage militaire” ? Les soutiers étaient des militaires ? Je pense plutôt que l’interprétation des bottes noires est plus crédible.
Ce qui rend plus logique la réponse de l’aviateur qui ne devrait pas s’enorgueillir d’être “soutier”.

Réponse de H. Belasco
D’accord pour Casa.
Pour les soutiers, l’article de l’Algérianiste que tu mentionnes dans ton site parle des “Arabes” ou des “Indigènes” qui étaient soutiers sur les navires. Il dit aussi que par malveillance nos “amis” métropolitains ont utilisé le terme pour la population non Arabe. D’après ce que m’avait dit GG, Yves Pleven lui aurait affirmé que le terme était utilisé couramment dans la Royale pour désigner les “Européens” d’Afrique du Nord et qu’il avait écrit à sa mère en 1943 le mot dont j’ai parlé ci-dessous.
Si cette lettre pouvait être retrouvée, cela donnerait un crédibilité indiscutable à la théorie du soutier qui me paraît assez vraisemblable car je ne vois pas pourquoi on aurait donné ce surnom aux militaires “bottés” ou aux colons “en souliers” et qu’on n’aie plus jamais entendu ou utilisé ce terme pendant les 120 années suivantes. Il est plus vraisemblable que le terme soit relativement récent dans sa désignation des “non-arabes” d’Algérie.
Je te renvoie pour cela au dictionnaire Paul ROBERT, qui est une autorité en matière d’étymologie et qui n’avance pas ses explications à la légère et qui donne la définitions suivante du mot “Pied-noir”:

“Chauffeur de bateau indigène (1901); Arabe d’Algérie (1917); Fam. Français d’Algérie.

NB : Bien entendu j’emploie le terme “Arabe” au sens où nous l’utilisions là-bas pour désigner celui qui n’est ni chrétien ni juif mais musulman (sans distinction d’ethnie)
Je m’en tiendrai donc au soutier pour l’instant.

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