Les Armoiries de la ville d’Oran

L’héraldique qui englobe la connaissance des armoiries, les règles qui les régissent et leur droit, est à la fois une science et un art.
En tant que science, elle a ses lois bien définies, sa grammaire, son vocabulaire ; l’art héraldique moins rigide se réfère plus spécialement à la représentation picturale ou artistique des armoiries. Il en résulte alors parfois une certaine fantaisie dans la reproduction des armes.

L’origine des armoiries est très ancienne et il est incontestable que de temps immémorial il y a eu parmi les hommes des marques symboliques dont on s’est servi pour se distinguer dans les armées. Le blason n’a pas toujours été l’apanage des guerriers ; chez les Grecs il était l’emblème familial,” l’insigne paternel ” pour reprendre l’expression de Virgile, mais on peut admettre toutefois comme plausible l’hypothèse qui fait remonter l’origine des armoiries aux Croisades.
Au Moyen-Age, les chevaliers se présentaient aux tournois porteurs des armes paternelles, bouclier et heaume ; la preuve du lignage s’administrait par la notoriété ou même par le témoignage. Des hérauts se tenaient aux lices chargés de faire la police de l’entrée et d’annoncer les arrivants ; au moment où les lices s’ouvrent, les jouteurs sont annoncés à son de trompe (en allemand blase = souffler, d’où vient le terme blason).
De simples valets au XIIè siècle, ces hérauts, dont la principale occupation avait été de sonner du cor aux tournois, deviennent rapidement des hérauts en titre, il leur appartenait de connaître ” de tout fait de noblesse et de droits d’armes ” et de rédiger les ouvrages sur ces matières, généalogie, armoriaux, etc… Ainsi ces personnages dont la carrière était couronnée par l’accession à l’office de Roi d’Armes, spécialement érudits en matière de blason, achèveront de constituer toutes les notions qui s’y rapportent en un corps de règles précises qui porte leur nom : ce fut l’héraldique.
Des questions de droit se posant rapidement, les juristes posèrent les bases d’une théorie ; en 1355, Bartiole compose le petit traité ” De insignis et armis ” qui dégage l’idée suivante : Les armes sont comme les noms, un moyen d’identification.
Plus tard, le souverain intervient directement par sa chancellerie ou indirectement par ses hérauts, soit pour constater les droits acquis, soit pour concéder de nouvelles armoiries. C’est ainsi que les villes ont demandé et obtenu du Roi de France, son chef, fleur de lys pour leurs armes ; une concession de ce genre par un souverain signifiait également une mise immédiate sous sa protection.
Avec le temps, les hérauts laissèrent tomber leurs prérogatives en désuétude, leur titre seul, purement honorifique subsiste.
En 1615, Louis XIII créa le nouvel office de juge d’armes en France, conseiller du Roi, qui devait corriger les armoiries contraires aux règles, juger les différends élevés en matière héraldique et délivrer sur la demande des intéressés des conformations qui furent décrétées abolies en 1790.
Napoléon créa une nouvelle noblesse; les nouveaux nobles recevaient leurs armoiries de l’Empereur. Les villes purent également recevoir des blasons. L’héraldique était donc officiellement restaurée ; elle différa de celle qui l’avait précédée par les figures dont elle usa et qui correspondaient d’une manière stricte aux fonctions et aux dignités, comme d’ailleurs dans l’ancienne héraldique musulmane.
L’usage des armoiries reste licite sous la IIè République, et sous le Second Empire, le Conseil du Sceau destiné à régler les armoiries fut reconstitué. La IIIè République le supprima, mais ses fonctions furent maintenues et dévolues à un conseil de fonctionnaires relevant du Ministère de la Justice.
L’usage des armoiries en France est actuellement licite et libre, il relève du domaine privé, toute personne peut se composer des armoiries et, comme au temps de Bartole, les armes sont assimilées au nom et couvertes par la même législation.
Le choix d’un blason est une question de goût, de respect de certaines règles. Le choix du motif a dépendu de celui qui prend les armes ou de celui qui les donne, parfois simple fantaisie, souvent désir de commémorer certains faits notoires, des événements capitaux de l’Histoire d’une province ou d’une ville.
Oran, fondée selon la tradition, en 902 de l’ère chrétienne, par des marins andalous, a connu, en six siècles d’Histoire musulmane, de nombreuses vicissitudes. Les Espagnols s’en emparèrent en 1509, puis après un long siècle emportée au début du XVIII” siècle par le bey de Mascara, pour être ensuite, en 1732, reconquise par le duc de Montemar, sous le règne de Philippe V d’Espagne.
Les Espagnols quittèrent définitivement Oran en 1792, et les beys de l’Ouest délaissant alors Mascara, y résidèrent jusqu’en 1930 date à laquelle les troupes françaises entrèrent dans la ville le 4 janvier 1831.
Les Espagnols laissèrent de nombreux bâtiments à Oran. Ceux qui subsistent encore ou qui sont en ruines remontent à la seconde occupation. Sur nombre d’entre eux on peut remarquer des armoiries qui n’ont pas manqué d’inspirer ceux qui, par la suite, tentèrent de donner un blason à la ville.

Ainsi le tambour San José, au bas de la rue des Jardins, date du XVIIIè siècle et porte un écusson espagnol aux armes de Castille.

 

Au n° 1 de la rue du Vieux-Château,
non loin de l’école Sédiman,
une vieille maison du XVIIIè siècle
a sur sa façade
un très bel écusson aux armes de Castille.

La fontaine de la place d’Orléans est ornée d’un bel écusson aux armes espagnoles d’Oran. Fey en donne la description suivante : ” De gueules au lion d’or passant chargé d’un soleil rayonnant d’or”, libellé incomplet d’ailleurs, le lion héraldique est ici “contourné”, c’est-à-dire tourné vers senestre (du latin sinistrum gauche, c’est-à-dire notre droite), l’écu étant toujours supposé être tenu par un chevalier qui s’en couvre en le montrant .
On voit au-dessus la plaque de céramique

(Avec la fontaine)

Et finalement en décembre 2005, il ne restait que les ruines du mur.

 

On trouve encore bien d’autres vestiges d’écussons sur différents autres édifices, notamment sur le mur extérieur du ravelin St-Ignace, au droit de la rampe Valès et à hauteur du Petit-Vichy ; l’écusson est très haut, assez bien conservé, mais dissimulé par les arbres.
Ce qu’il est devenu (décembre 2005)
Photo Ernest Saval

 

A une époque très rapprochée, divers bâtiments publics ont vu leur fronton orné d’un écusson aux armes de la ville, mais les figures ne sont pas celles que doit comporter notre blason officiel : on y trouve, en effet, navire sur le chef, soleil levant au lieu de coq, palmier, croissant sous étoile et autres attributs.

Armoiries figurant au fronton de la salle Marcel Cerdan de chaque côté. (ancien casino Bastrana)

Fronton de l’Hôtel de Ville

Palais de Justice, Place de la République

Exemples d’armes qui portent navire sur le chef, soleil levant et palmier. En outre il n’y a pas d’étoile au-dessus du croissant.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que certains se soient émus de cette représentation si variée de ces armoiries. C’est ainsi qu’en 1921, le capitaine du Génie Baudin écrivit à “L’Echo d’Oran” pour demander que la municipalité veuille bien statuer sur cette importante question de l’écusson officiel de la ville : il manifestait sa surprise en constatant la différence entre l’écusson situé en haut de l’escalier d’honneur de l’hôtel-de-ville et celui du lycée Lamoricière. Le premier, quoique fantaisiste, comportait un coq gaulois, alors que cet attribut est absent sur le blason de la façade du lycée.
Le lendemain, 17 janvier 1921, M. Barneaud, professeur au lycée, répondait au capitaine Baudin, dans “L’Echo d’Oran”, en lui confirmant que lui-même, auteur de la maquette des armoiries de la ville, pouvait l’assurer que le coq gaulois figurait bien dans le blason officiel. Il ajoutait que c’est en 1913 que la question posée a eu sa solution. A cette époque, la municipalité d’Oran, sur la proposition du Commandant Béranger et de M. Dandine, précédée de l’approbation du Docteur Gasser, maire, a accepté la maquette de M. Barneaud et en avait commandé dix exemplaires pour différentes écoles d’Oran. La préparation militaire, plusieurs sociétés sportives et un certain nombre de notabilités oranaises, ont commandé des reproductions en plâtre de la maquette.

Mais les recherches effectuées avant la guerre conduisent à affirmer qu’il n’y a, en réalité, qu’un seul document officiel relatif aux armes d’Oran : la peinture du plafond de la salle du conseil municipal, qui date du début du siècle.
Il n’y a probablement jamais eu de délibération du conseil municipal au sujet de ces armoiries ; il n’en existe pas davantage pour celles comportant le soleil et le palmier.
A la suite d’une correspondance échangée avec M. Harot, architecte en chef des monuments historiques à Paris, il ressort que déjà bien avant 1914, les armes d’Oran étaient représentées conformément à la peinture du plafond de la salle du conseil municipal. Vers 1911, le directeur du journal “Le Matin” avait eu l’idée de faire représenter par les armes municipales les localités où le journal avait des correspondants et sur le panonceau exposé à la vitrine de ce quotidien parisien les armes d’Oran y figuraient avec le coq gaulois au premier quartier, sans palmier ni soleil levant.

En 1930, une belle affiche signée C. Salge, très décorative, fut collée sur les murs de Paris, à l’occasion de l’Exposition générale du centenaire de l’Algérie. Les armes d’Oran y figuraient en belle place et avec les émaux en couleur .

L’écusson de l’affiche de Salge se blasonne : écartelé au 1er de gueules au coq d’argent, la patte appuyée sur une boule d’azur : au 2e sous un ciel au naturel, un navire de gueules à voile blanche sur une mer ondée d’azur et d’argent ; au 3e de sinople au croissant d’argent surmonté d’une étoile d’argent ; au 4e contré écartelé de gueules à la tour d’or et d’or au lion de gueules, le tout sous un chef d’azur semé de fleurs de lis d’or. Le peintre Salge s’était inspiré du même document que celui exposé en 1911 et il l’avait interprété comme il l’avait pu, faisant le coq blanc avec globe bleu pour rappeler nos couleurs nationales, interprétant le bateau et lui donnant la forme de navire qui figurait sur le type d’armoiries antérieures à 1911.
A la suite de ces différentes recherches, il semble donc que les armes d’Oran sont parfaitement établies : elles sont conformes aux armoiries peintes au plafond de la salle du conseil municipal et c’est là le seul document officiel.

La description héraldique des armes d’Oran est donc la suivante :

Partie de quatre quartiers. Au premier de gueules à coq gaulois d’argent à la boule d’or : au deuxième d’or à la nef antique, sable maçonnée d’argent et flammée tricolore de France moderne, la proue en tête de lion portée sur une mer ondée d’argent et d’azur. Au troisième, de sinople au croissant d’or surmonté d’une étoile d’or ; au quatrième d’Espagne à quatre quartiers : 1er et 4e de Castille : 2e et 3e d’argent au lion de gueules. Au chef cousu de France ancien.
La forme de l’écu serait celle du XVe siècle, donc l’écu français ancien, avec pointe réduite, tracé en accolade, trait typique de l’architecture du temps.

Un de mes correspondants (Gilbert Sotto) m’a communiqué une interprétation un peu différente :

Ancienne Mairie

Antenne de la Mairie Bd Molle

Bâtiment rue Eugène Etienne

Bâtiment rue Eugène Etienne

Ecole Jules Renard, rue d’Arzew

Photos Edgard Attias, mai 2005
Bien que les armoiries de la Ville aient changé, ce sont les armes françaises qui ont été placées avec la plupart du temps des couleurs fantaisistes (sauf à l’ancienne mairie où elles existaient avant 1962 )

Il n’est peut-être pas superflu de rappeler, pour faciliter la compréhension de cette description, que pour les couleurs, l’héraldique se sert de métaux or et argent et d’un petit nombre d’émaux ; le bleu appelé azur, le rouge (gueules), le vert (sinople), parfois le pourpre, l’orange et le sable (noir uni), qui est en réalité une fourrure : la zibeline – les anciens boucliers étaient couverts de peaux de bêtes, – et que par oubli on compte maintenant parmi les émaux. A la technique de l’émailleur, l’héraldique emprunte une règle fondamentale : ne pas employer émail sur émail, mais toujours les séparer par un métal.
Le vocabulaire désignant ces émaux est très ancien ; on a coutume d’en avoir l’origine dans la langue arabe, or, en réalité, ces termes viennent du persan (gueule : ghul en persan) ; rose azur : ladjou en persan, mais nous avons également azreg en arabe ; le persan est noté au moyen de l’écriture arabe et, avec le temps, le vocabulaire persan écrit s’est chargé de plus en plus d’emprunts à l’arabe : il est devenu plus arabe qu’iranien bien que les deux familles linguistiques soient distinctes. Le terme sinople (latin sinopsis) désigne la teinte vert foncé de l’oxyde de fer exploité à Sinople, en Turquie d’Asie.
Pour en revenir à l’écusson d’Oran, il peut paraître anachronique d’y voir à la nef antique rappelant l’origine maritime d’Oran, le pavillon tricolore français. D’après les documents que nous avons pu examiner, cette nef phénicienne est représentée avec une flamme réduite à un trait de plume qui ne peut avoir de couleur, mais sur les modèles ne comportant ni fleur, ni lis, ni coq gaulois, le navire est un trois-mâts comportant un pavillon qui paraît tricolore. Sur l’armoirie officielle peinte au plafond de la salle du conseil municipal, le navire a deux voiles et pas d’oriflamme. On peut cependant admettre comme tolérance héraldique une seule voile et un oriflamme discrètement représenté.
Les autres quartiers ne demandent pas d’explication particulière, les figures représentées sont un résumé des étapes historiques de notre ville. Le 4è quartier porte, non pas comme on a tendance à le croire, les armes de Charles-Quint, qui sont beaucoup plus complexes, mais tout simplement les armes actuelles de Castille : de gueules à la tour d’or, donjonnée de 8 tourelles d’or et les armes de Léon : d’argent au lion rampant de gueules. Enfin, dans certaines reproductions, le chef cousu de France ancien est représenté avec des fleurs de lis argent, ce qui est une erreur, les fleurs de lis du blason de France sont toujours d’or et non d’argent.

La description héraldique des armes de la ville d’Oran est donc telle qu’elle est exposée ci-dessus : elle a, d’ailleurs, été officiellement confirmée par une délibération du conseil municipal en date du 29 mai 1936, approuvée le 29 juin suivant, adoptant cette lecture et décidant d’en tirer un grand nombre d’exemplaires en couleurs, pour servir de modèle aux administrations et organismes qui en feraient la demande.
A. LEVRAUX, (ancien élève de l’héraldiste professeur Henri Rolland, Conservateur des Musées de l’Etat).
Documentation parue dans le n° 24 de “La Vie Municipale” le 15 mai 1952 (texte seul) Les photos sont de l’auteur du site.
Echo de l’Oranie n° 164 (janvier-février 1983)

J’ai découvert une représentation surprenante des armoiries de la ville sur une enveloppe premier jour datant du 15 octobre 1960. Si les armoiries qui figurent sur les timbres sont correctes, l’image ne ressemble à rien de connu.
Pourtant ces armoiries bizarres figurent aussi sur un timbre émis en 1942 (Catalogue Yvert et Tellier). Sur le timbre ci-dessous, le tampon est daté de 1952.
Remarquer que sur la carte, les timbres ne correspondent par à ces armoiries, pourtant objet du tirage premier jour.

 

Jean-Paul Fernon, co-auteur avec Nicolas Vernot de “l’Armorial des communes de l’Algérie Française” (Mémoire de Notre Temps) qui a apprécié cette page, m’écrit : ” Pour moi qui suis Oranais depuis 1942 et héraldiste depuis plus de 35 ans, je ne peux qu’admirer votre travail sur les armes d’Oran que j’avais traitées avec mon ami Nicolas Vernot. Si nous avions eu vos photos, nous aurions pu développer davantage notre article. Je vous le joins et vous autorise à l’utiliser pour compléter votre excellente étude.

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