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LE VILLAGE NEGRE

 

 Histoire du Village Nègre de la Ville d'Oran

Origine de l'appellation de Village Nègre ?

 La fête du Mouloud (poème)

 

 

 

Le Village Nègre et le marché Sidi-Okba
 
Après l'occupation d'Oran en 1831, l'une des premières mesures de l'administration coloniale française fut de faire raser toutes les habitations et autres masures qui masquaient la vue du côté de l'Est : entre le Château-Neuf et le fort Saint Philippe. On fit de même par la suite pour tous les gourbis qui, du côté de Ras-el-Aïn, pouvaient favoriser des embuscades et permettre à des assaillants de se glisser jusqu'aux remparts de la ville.
 
En 1845, le Général Lamoricière voulut débarrasser les abords de la place Kléber des tentes et des habitations indigènes, car considérée comme quartier européen. Il fixa alors cette masse flottante, originaire des tribus des Z'mala, Douaïr et Ghraba ainsi que de gens de couleur et créa, par ordonnance du 20 janvier 1845, un village indigène sur un emplacement revendiqué par les Domaines, entre la lunette Saint-André, le cimetière juif et le cimetière Sidi Bachir. Ce fut le "village des Djalis" ou des "Etrangers", que l'on appellera par la suite, assez improprement d'ailleurs, "Village Nègre" et actuellement "Medina Jdida" ou Ville Nouvelle.
 
Ce village avait un statut particulier car il était resté sous l'autorité militaire. Ses habitants n'étaient donc pas assujettis aux impôts locaux. La municipalité s'en émut et ce fut l'objet de plusieurs délibérations municipales :
- Le 23 janvier 1849, M. Péraldi propose que les bouchers du village nègre soient tenus de venir abattre dans l'abattoir d'Oran. M. Jonquier déclare que puisque les habitants de ce village ont voté aux élections du conseil municipal, ils doivent supporter leur part des charges de la municipalité.
- Le 28 janvier 1849, M. Ramoger déclare : Attendu que le village nègre a voté aux dernières élections, je propose que ce village soit considéré comme faisant partie de la commune d'Oran, et que le pouvoir militaire soit déchu de son autorité.
 
 
 
Pendant longtemps, ce village a constitué le principal moyen d'agglomération des musulmans oranais, et son principal centre de vie était le Marché Sidi-Okba et l'esplanade de la "Tahtaha".
Dans ce souk mi-oriental, mi-occidental, tous les jours, la population faisait son marché, aimant particulièrement faire les "courses" en plein air. Ce n'est pas que les produits y étaient moins chers ou plus frais, mais tout simplement parce qu'il y flottait un air de fête.

Un spectacle se jouait de chaque côté des étals des bouchers...
Dès l'aube, camions, camionnettes et charrettes, abondamment et lourdement chargés, investissaient les rues et les places alentours. A chacun son emplacement, à chacun son bout de trottoir, quasi immuables. Les autres commerçants, ambulants ou sédentaires s'organisaient.

Sous un apparent désordre au parfum de liberté, se cachait une savante organisation. Le marchand mettait son étal en scène, jouait avec les couleurs, la profusion. Il n'y avait pas d'espace vide. Tout était à portée du regard, de main et du nez...
Tomates, aubergines, oignons, laitues, haricots, piments, citrons, abricots, dressés en pyramides, évoquaient une nature peu avare de ses charmes... Plaisir de l'oeil, exotisme des épices. Et puis, au marché, on cherchait toujours les beaux légumes, les fruits savoureux, les poulets fermiers, le délicat agneau nourri au "thym", le poisson frais... En rentrant chez soi, le panier garni, on avait le sentiment de ramener du bien-être, une tranche de bonheur.

On flânait, on soupesait, on bavardait, on s'apostrophait. Même entre inconnus, les marchands plaisantaient... Le temps s'écoulait, léger, festif, comme au théâtre... Sauf qu'au marché, tout le monde est à la fois auteur, acteur et spectateur.
On marchandait ou on faisait semblant. Personne n'y gagnait, personne n'y perdait. Ici, le ronron quotidien du gitan ambulant, un énorme ciseau entre les mains, prêt à coiffer un chien ou un baudet. Tout ce monde bigarré offrait l'illusion de miettes de rêve, d'une sociabilité retrouvée.

Le marché Sidi-Okba, dans les années cinquante, avait un air de fête.
 
(tiré de : Les contes de la ville d'Oran de Chaïla Lahouari, Editions Dar el Gharb, Oran, 2005)
 
Fête au Village Nègre
 
 
Quelques photos du marché Sidi-Okba dans la Medina D'jida (2005)
 

 

 
 

 
 
 
 
 
Appellation du Village Nègre
 
Pourquoi, et quand, le "Village des Djalis" est-il devenu dans le langage quotidien le "Village Nègre" ?
On pourra trouver ci-dessous un essai de réponse :
 
 
A l'arrivée des Français, Une grande partie des indigènes étaient noirs, la population était composée d'une part par des "Gnaouas", provenant comme leur nom l'indique du Ghana, et que l'on rencontrait un peu partout, jouant de la musique avec une flûte aigre accompagnée de grandes castagnettes métalliques à double tympan : les crotales ou karkabous. Les arabes provenant des tribus des Douairs et Zmélas étaient aussi très hâlés, en tout cas, en comparaison avec la peau blanche des Français, ce qui explique la méprise. Et enfin, les arabes avaient des esclaves qui étaient nègres.
En ce qui concerne l'appellation du village, on trouve dans les journaux de 1847, soit très peu de temps après la création du village en février 1845, par le Général de Lamoricière, la mention de "Village Nègre" dans des comptes-rendus de conseils municipaux.

 

La question de l'esclavage se posa, comme dans toute l'Algérie, à la suite à un décret relatif à l'abolition de l'esclavage, promulgué le 4 août 1848 par le gouvernement provisoire.

 

A Oran, la police reçut l'ordre de faire le recensement des nègres esclaves qui existaient dans la commune. "Aussi, le citoyen commissaire du 2ème arrondissement, accompagné de son interprète, est allé au Village nègre pour prendre les noms de tous ces malheureux." (Echo d'Oran du 18 novembre 1848)
 
La question agita les esprits et un "sous-officier de cavalerie d'Afrique" émit le 7 février 1849, quelques réflexions sur le sujet :
 
La nouvelle de l'abolition de l'esclavage, par décret du gouvernement provisoire et dernièrement encore par la Constitution, a produit sur nos populations indigènes une sensation très vive.
La question des nègres présente, dans nos possessions algériennes un problème assez difficile à résoudre. Ni le gouvernement provisoire, ni la Constitution, n'ont prévu les obstacles à surmonter dans l'exécution d'une mesure qui causera indubitablement de graves dissidents.
En effet, en supprimant une servitude consacrée par les moeurs et d'anciennes traditions, nous supprimons naturellement un précepte religieux très important. Le Coran autorise les musulmans à posséder des nègres et des négresses, et l'Arabe ne considère pas cette race d'hommes comme des créatures achetées à vil prix, mais comme des serviteurs fidèles dévoués à sa famille, vivant comme elle et jouissant d'une liberté aussi grande. Nous portons atteinte à des lois religieuses que nous nous sommes engagés à respecter et à faire respecter par tous.
Or, nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin de recourir à tous les moyens conciliants pour ne pas laisser s'enflammer l'imagination arabe si facile à émouvoir ;

Certes, nous ne nous faisons pas un tableau aussi effrayant de la situation actuelle, mais pouvons-nous répondre de l'avenir ? Depuis bientôt dix-neuf ans que nous occupons le pays, nous devons être fixés sur le peuple que nous avons vaincu et que nous contenons à grand peine ; il est inutile de dire ici que nous sommes loin d' avoir soumis les moeurs, le caractère et les idées arabes, comme nous l'avons fait du pays ; chacun sait qu'au lieu de nous aimer, l'Arabe nous garde une haine profonde que la force, l'intérêt et le calcul ont pu seuls assouvir en apparence.
Un sous-officier de cavalerie d'Afrique.
 
 
La fête du Mouloud à Oran

Aux fêtes du Mouloud, tout le village nègre
Est plein de mouvement, de fumée et de bruit ;
Les fusils, les pétards, éclatent dans la nuit ;
Les chants, la derbouka, les flûtes aux sons aigres,

Le gros tébeul battu par un grand diable maigre
Qu'un flot d'enfants criards en tourbillonnant suit,
Le tumulte insensé vous prend et vous séduit,
Et vous courez avec ces gens, d'un pas allègre,
 
L'œil brouillé de couleurs qui s'en vont se mêlant
Le nez presque insensible à l'odieux relent
Qu'exhale en se pressant tout un peuple en folie.
 
Devant cet océan de grossière gaîté,
A peine débarqué, le voyageur oublie
Tout le passé, jusqu'au pays qu'il a quitté.
 
Oran, 29 avril 1906 " Croquis de voyage" d'Ernest Lacoste
               

 
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